Jean-Pierre CIGLIA pour IELO

Beaucoup de signaux indiquent que les usages de l’eau doivent être interrogés et parfois remis en question.

Ni les menaces ni leurs impacts
ne sont nouveaux mais leur médiatisation s’est imposée en 2023 en écho
à l’urgence climatique.

  • En début d’année, la délégation sénatoriale à la prospective publie un rapport sur « l’avenir de l’eau » et produit 8 recommandations (1).
  • Fin mars, le Président de la République présente un plan d’action en53 mesures pour « une gestion résiliente et concertée de l’eau » (2)selon 3 axes : Organiser la sobriété des usages pour tous les acteurs, Optimiser la disponibilité de la ressource, Préserver la qualité de l’eau.
  • En avril, l’Anses publie un rapport sur les pesticides (3) qui alerte entre autres sur un métabolite qui conduit à des dépassements de la limite de qualité dans plus d’un prélèvement sur trois.
  • En juillet, la Cour des Comptes publie un rapport et émet 11recommandations (4) afin d’adapter le modèle français de gestion des eaux à l’impact du changement climatique.
  • En juillet encore, face aux épisodes de sécheresse et à la multiplication des restrictions locales des usages de l’eau, le ministre de la Transition écologique annonce le lancement de la plateforme d’information VigiEau (5).
Mais jusqu’à quel point faut-il s’inquiéter de l’avenir de l’eau en France ?

La baisse de la quantité d’eau renouvelable disponible (197 milliards dem3 en métropole) va-t-elle mettre en péril nos besoins (32 milliards dem3). La fiction anxiogène publiée par Ouest France le 13 août (6) sur la pénurie d’eau pour les nantais en 2048 est-elle prophétique ?

La menace conduira-t-elle ,même à la multiplication des conflits ou à des émeutes comme autour des bassines de Sainte-Soline ou encore à des tensions sociales vis-à-vis des propriétaires de piscines ou des golfeurs ?

L’impact du réchauffement climatique

La disponibilité de l’eau a toujours été géographiquement très inégalitaire du fait des climats et de la géologie, saisonnièrement tributaire de la météo.

Mais en 2 siècles, l’hydrosphère planétaire a aussi été bouleversée par la révolution de nos modes de vie (habitat, transports, loisirs, confort), de nos pratiques agricoles et industrielles, de la croissance x8 de la population (presque 10 Milliards en 2050) et de leurs impacts.

Chacun pense bien sûr aux conséquences mondiales du réchauffement climatique dû à la combustion d’une grande partie de nos énergies fossiles : fonte des glaces, amplitude plus forte et plus fréquentes des périodes de sécheresse.

Il faudrait une mobilisation mondiale pour progressivement, à l’échelle d’un siècle, cesser de dégrader puis résorber les problèmes du grand cycle de l’eau affecté par le réchauffement climatique. Aucun des scénarios du dernier rapport du GIEC n’est optimiste et je doute malheureusement d’une convergence internationale à la hauteur des problèmes pour mener des actions qui toucheraient à nos modes de vie immédiatement alors que le bénéfice serait différé.

Selon les objectifs fixés par l’Union européenne, la France qui émet moins de 1% des GES mondiaux doit réduire ses émissions de 55% entre 1990 et 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette ambition nous conduit politiquement sur un chemin de crête très étroit entre « exemplarité » et « crash social et économique ».

Les leviers d’une gouvernance locale et démocratique

Pour protéger nos ressources en eau il faut donc nous concentrer sur les risques que nous pouvons maîtriser nationalement à l’échelle territoriale la plus adaptée : la surexploitation des ressources disponibles, leur pollution ou encore l’insuffisance ou la mauvaise maîtrise des aménagements hydrauliques.

Longtemps considéré comme exemplaire, le modèle français de l’eau a été bâti (une fois n’est pas coutume) dans un esprit de décentralisation à 2 niveaux principaux :

Les instances de gouvernance sont donc représentatives de toutes les parties prenantes et de tous les territoires. C’est une garantie démocratique pour répondre à la diversité et à la spécificité des problématiques rencontrées. Les questions d’opportunités et de priorité d’usage se posent légitimement et les réponses sont contextuelles et à arbitrer localement.

Dans ce contexte, l’emploi de la violence pour empêcher des usages agricoles, industriels ou ludiques est parfaitement inadmissible, sachant par ailleurs que des recours juridiques sont toujours possibles dans notre état de droit.

Pour des usages sobres, économiques et solidaires

Au final, si j’identifie très bien les risques globaux et / ou locaux et / ou saisonniers qui nous menacent, je rejette le scénario catastrophe d’une France condamnée à la pénurie d’eau à la fin du siècle.

Si la métropole nantaise a frôlé la rupture d’alimentation en eau potable en septembre 2022, elle le doit plus à un défaut d’anticipation et d’investissements qu’à la sécheresse et aux grandes marées.

Pour éviter les situations de crise nous avons besoin de projeter, de planifier, de valider démocratiquement et localement les priorités d’usage et les aménagements nécessaires, d’en assurer un financement plus solidaire et de responsabiliser tous les usagers sans les culpabiliser.

Privilégions et libérons l’investissement

en faveur des projets qui lissent les volumes disponibles (la pluviométrie annuelle en France reste constante) et protègent les ressources naturelles des pollutions.

Encourageons toutes les mesures de sobriété

sans impacts économiques négatifs pour les usagers avant de préconiser des solutions techniques palliatives onéreuses comme la désalinisation d’eau de mer, le recyclage des eaux usées ou l’étanchéification forcenée des réseaux d’eau potable

Evitons l’hystérie et agissons

de façon rationnelle, concertée, économique et solidaire

Jean-Pierre CIGLIA

Administrateur de l’Institut Entrepreneurs & Leaders d’Opinion IELO

Docteur ès sciences en hydrogéologie appliquée, Jean-Pierre CIGLIA a acquis, de par sa formation initiale, une forte compétence technique et scientifique concernant les ressources en eaux, leur qualité, les aménagements pour leur gestion et leurs usages domestiques, agricoles ou industriels.
Il a pendant 27 ans dirigé des entités de grands groupes privés et de sociétés publiques pour la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en France et en Allemagne.
A ce titre, il a été un acteur proche des Collectivités (élus, services et usagers), des Industriels, du monde Agricole, des Associations et des Syndicats professionnels en Métropole et en Outre-Mer. Il présente en particulier une grande expertise des solutions permettant d’optimiser les services au profit de la préservation de l’environnement et des politiques de tarification.
Il a aussi accompagné les missions des acteurs publics de l’eau (Ministères, Agences de l’Eau,…) et des Schémas (Directeurs)d’Aménagement et de Gestion des Eaux.

Sources

  1. Rapport sénatorial sur l’avenir de l’eau – n°142 – session ordinaire 2022-2023 – novembre 2022 – https://www.senat.fr/rap/r22-142/r22-1421.pdf
  2. 53 mesures pour l’eau – Planification écologique – Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau – Dossier de presse – mars 2023 – https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/MAR2023_DP-PLAN%20EAU__BAT%20%281%29_en%20pdf%20rendu%20accessible.pdf
  3. Rapport d’appui scientifique et technique de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) – 2022-AST-0255 – https://www.anses.fr/fr/system/files/LABORATOIRE2022AST0255Ra.pdf
  4. Rapport de la Cour des Comptes sur la gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique – juillet 2023 – https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230717-gestion-quantitative-de-l-eau.pdf
  5. plateforme VigiEau – https://vigieau.gouv.fr/?profil=entreprise
  6. Récit « Une douche de 3mn tous les 3 jours – la vie imaginée d’une nantaise en 2048 » – Ouest France – 13 août 2023 – https://www.ouest-france.fr/environnement/eau/recit-une-douche-de-trois-minutes-tous-les-trois-jours-la-vie-imaginee-dune-nantaise-en-2048-f877d05a-36c5-11ee-a2d3-05324ea7f164

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